
Incorporation de la Réserve Légale au Capital Social d’une SARL en Droit Marocain
Analyse
Destinataires: Juristes, Experts-comptables, Comptables agréés
Objet : Analyse de l’existence d’une interdiction légale concernant l’augmentation du capital social par incorporation de la réserve légale pour une Société à Responsabilité Limitée (SARL) en droit marocain.
Introduction
La question de savoir s’il est possible d’augmenter le capital social d’une Société à Responsabilité Limitée (SARL) par l’incorporation de la réserve légale est une préoccupation récurrente pour les praticiens du droit et de la comptabilité au Maroc. Cette opération, qui consiste à transformer une partie des réserves accumulées en capital social, peut présenter des avantages pour la structure financière de l’entreprise. La présente analyse vise à déterminer s’il existe, dans la législation marocaine actuelle et spécifiquement pour la SARL, un article de loi qui interdirait formellement cette pratique.
L’analyse se fondera principalement sur la loi n° 5-96 régissant notamment les SARL, tout en effectuant une comparaison pertinente avec le régime de la Société Anonyme (SA) régi par la loi n° 17-95, et en tenant compte des interprétations doctrinales et de la pratique professionnelle.
I. Le Cadre Légal de la Réserve Légale et de l’Augmentation de Capital en SARL
L’examen des textes législatifs marocains est primordial pour répondre à la question posée.
A. La Loi n° 5-96 relative aux SARL
La loi n° 5-96 du 13 février 1997 constitue le texte de référence pour les SARL au Maroc. Une analyse attentive de ses dispositions révèle plusieurs points clés :
- Absence de mention explicite de la réserve légale obligatoire : Contrairement à la loi sur les Sociétés Anonymes, la loi 5-96 ne contient aucune disposition imposant explicitement la constitution d’une réserve légale pour les SARL. L’obligation de doter une réserve légale (généralement 5% du bénéfice net après impôt jusqu’à ce que la réserve atteigne 10% du capital social) est une caractéristique de la SA (Art. 279 de la loi 17-95), mais elle n’est pas reprise telle quelle pour la SARL dans la loi 5-96.
- Régime de l’augmentation de capital (Art. 77-79) : Le Chapitre VI du Titre IV de la loi 5-96 traite de la modification du capital social. Les articles 77 et 78 détaillent les modalités des augmentations de capital par apports en numéraire et par apports en nature, en précisant les procédures de souscription, de libération et d’évaluation. La loi n’aborde pas directement l’augmentation par incorporation de réserves dans ces articles spécifiques, mais cette modalité est admise en pratique et par la doctrine comme une forme de modification statutaire.
- Absence d’interdiction explicite d’incorporer la réserve légale : Point crucial, aucune disposition au sein de la loi 5-96 n’interdit formellement l’incorporation de la réserve légale (si une telle réserve a été constituée volontairement par les associés via les statuts) au capital social de la SARL.
B. Comparaison avec la Société Anonyme (Loi n° 17-95)
La comparaison avec le régime de la SA est instructive : - Obligation de réserve légale pour la SA : L’article 279 de la loi 17-95 impose aux SA de prélever 5% sur les bénéfices nets jusqu’à ce que la réserve légale atteigne 10% du capital social.
- Interdiction explicite d’incorporation pour la SA : L’article 328 de la loi 17-95 stipule clairement que “L’assemblée générale extraordinaire peut décider l’augmentation du capital social par incorporation de bénéfices, réserves ou primes d’émission. […] La réserve légale ne peut être incorporée au capital.”
- Applicabilité par analogie à la SARL ? L’article 1er de la loi 5-96 prévoit que certaines dispositions de la loi 17-95 (listées exhaustivement) s’appliquent aux SARL “dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions qui leur sont propres”. L’article 328 de la loi 17-95 (interdisant l’incorporation de la réserve légale) ne figure pas dans cette liste d’articles rendus applicables aux SARL par l’article 1er de la loi 5-96. De plus, l’absence d’obligation légale de constituer une réserve légale pour la SARL rendrait l’application par analogie d’une interdiction d’incorporation (prévue pour une réserve légale obligatoire dans un autre type de société) difficilement justifiable et potentiellement non compatible avec le régime spécifique de la SARL.
Le silence de la loi 5-96 sur ce point précis, contrastant avec l’interdiction explicite pour les SA, tend à renforcer l’idée qu’une telle interdiction n’existe pas pour les SARL.
II. L’Analyse Doctrinale et la Pratique
En l’absence de disposition légale explicite interdisant l’opération pour les SARL, il convient de se tourner vers l’interprétation doctrinale et la pratique professionnelle. - Admission de l’augmentation par incorporation de réserves : La doctrine et la pratique s’accordent généralement pour considérer que l’augmentation de capital par incorporation de réserves (bénéfices mis en réserve, primes d’émission, autres réserves statutaires ou libres) est une modalité possible pour les SARL. L’article consulté sur Consegis.ma le confirme : “L’ajout de réserves et de bénéfices au capital s’effectue par un simple transfert des comptes de réserves et/ou de bénéfices vers le compte capital.”
- Conditions de l’opération : Comme toute modification statutaire, l’augmentation de capital par incorporation de réserves doit être décidée par l’Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) des associés. L’article 75, alinéa 2, de la loi 5-96 précise que les décisions modifiant les statuts sont prises par les associés représentant au moins les trois quarts (3/4) du capital social, sauf si les statuts prévoient une majorité plus élevée ou l’unanimité.
- Le cas spécifique de la réserve légale : Concernant spécifiquement la réserve légale (constituée volontairement ou statutairement dans une SARL), la doctrine majoritaire semble considérer que, faute d’interdiction légale dans la loi 5-96, son incorporation au capital est possible, sous réserve du respect des conditions de majorité précitées. Le silence de la loi 5-96 est interprété comme une absence d’obstacle juridique.
- Nuance et débat potentiel : Bien qu’il n’y ait pas d’interdiction légale explicite, il est pertinent de noter la finalité originelle de la réserve légale (dans les régimes où elle est obligatoire, comme la SA) qui est de renforcer les garanties offertes aux créanciers sociaux. Certains pourraient argumenter que l’incorporation de cette réserve au capital, même si elle n’est pas interdite, irait à l’encontre de cet esprit. Cependant, cet argument perd de sa force dans le contexte de la SARL où la constitution même de cette réserve n’est pas une obligation légale. Si les statuts prévoient une réserve spécifique (qualifiée de légale ou autre) avec des règles d’affectation et d’utilisation particulières, ces règles statutaires primeraient.
III. Conclusion
Au terme de cette analyse, et en l’état actuel de la législation et de l’interprétation doctrinale dominante au Maroc :
Il n’existe pas d’article de loi, dans la loi n° 5-96 régissant les SARL, qui interdise explicitement l’augmentation du capital social par incorporation de la réserve légale.
Par conséquent, une SARL qui aurait constitué une réserve (qu’elle soit qualifiée de légale, statutaire ou autre) pourrait décider de l’incorporer à son capital social.
Cette opération doit respecter les conditions suivantes :
• Elle doit être décidée par l’Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) des associés.
• La décision doit être prise à la majorité requise pour la modification des statuts, soit, sauf clause contraire des statuts, par les associés représentant au moins les trois quarts (3/4) du capital social (Article 75, alinéa 2 de la loi 5-96).
• Les formalités de publicité relatives à la modification des statuts doivent être accomplies (dépôt au greffe, publication dans un journal d’annonces légales et au Bulletin Officiel).
Recommandation : Bien que l’interdiction légale ne soit pas établie, il est toujours recommandé de vérifier attentivement les statuts de la SARL concernée, qui pourraient éventuellement contenir des clauses spécifiques restreignant l’utilisation de certaines réserves. En cas de situation complexe ou de doute persistant, la consultation d’un conseiller juridique spécialisé reste la meilleure approche.
Références
• Dahir n° 1-97-49 du 5 chaoual 1417 (13 février 1997) portant promulgation de la loi n° 5-96 sur la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en commandite par actions, la société à responsabilité limitée et la société en participation. (Consultée via le fichier PDF : /home/ubuntu/loi_5-96_sarl.pdf)
• Dahir n° 1-96-124 du 14 rabii II 1417 (30 août 1996) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.
• Consegis. (15 Janvier 2024). L’augmentation du capital social de la SARL Marocaine. Consulté le 5 Mai 2025, sur https://consegis.ma/2024/01/15/laugmentation-du-capital-social-de-la-sarl-marocaine/
Fin de l’analyse